No pasaran

Ce matin, avant l’heure de l’école, j’ai rassemblé mes enfants pour leur parler de l’attentat terroriste perpétré par de sombres illuminés contre des hommes travaillant à Charlie Hebdo.  Mon Dieu que j’ai trouvé ça difficile. J’ai la communication aisée et décomplexée, j’aborde sans soucis les questions de sexualité, de religion, de corps, d’amour, de politique, de racisme, de haine ordinaire, d’amitiés complexes… Je ne cille pas quand ils m’apportent leurs interrogations, parce qu’il n’y a rien que je trouve compliqué dans les réponses à apporter. Le sexe est naturel, la religion une question de point de vue, le corps n’est que du respect de soi et des autres, l’amour est tellement multiple, la politique idéalement une démarche individuelle pour le collectif, le racisme une aberration, la haine un souci d’éducation et l’amitié un trait d’union à longueur variable entres les gens. Je ne me défile jamais, je réponds. Parfois maladroitement, parfois mal, parfois trop précisément, parfois trop crument. Mais j’y vais, je pose mon petit caillou mal taillé pour les aider à édifier leur château personnel. C’est ma responsabilité de parent et je l’aime beaucoup.

Vous me voyez venir. Ce matin, j’ai trouvé ça dur. Tellement dur. Parce que j’avais le cœur infiniment triste. Parce que j’étais en colère. Parce que je n’avais pas les mots à leur portée. Parce que j’ai dû leur expliquer ce qu’était Charlie Hebdo, quel genre de travail faisaient les gens de ce quotidien… Je me suis sentie nulle de constater que j’avais loupé un pan de leur éducation, que la presse dans sa diversité leur était largement inconnue, que la notion de liberté d’expression leur semblait un combat un peu flou. J’étais assez paumée, je n’ai pas été très claire, j’ai eu l’impression de les laisser partir à l’école sans avoir été ni une bonne mère, ni une bonne citoyenne.
Ils sont rentrés de l’école en me disant que j’avais raison avec mon histoire, leurs enseignants leur avaient parlé de l’attentat, ils avaient tous fait une minute de silence. On a re abordé tout ça à table. Nous avons dû expliquer à Deng Hong, notre chouette ayi chinoise, pourquoi nous étions si sérieux et si tristes. Je les ai laissés faire en partie, pour les entendre s’exprimer, pour qu’ils reformulent avec leurs mots. Mais là encore, j’ai eu l’impression qu’ils ne percutaient pas l’ampleur d’un tel massacre. C’est vrai qu’ils sont jeunes. Mais l’indignation m’avait tellement accompagnée cette nuit presque blanche, totalement rouge, à cliquer sur tous les liens pour comprendre, pour pleurer, pour halluciner, seule derrière mon écran, dans le silence de ma maison endormie, de l’autre côté de la planète, loin de mon pays… l’indignation, je voulais la voir aussi dans leurs yeux…

Ils sont repartis dans leur vie d’enfants, derrière leurs écrans, leurs jeux pixélisés, les rires d’adolescent. Alors je suis allée voir ErwanouGentilLoup et MaëllePrincesse. Et je me suis fâchée. Je leur ai dit qu’il fallait savoir ce qu’ils voulaient faire de leurs vies, savoir qui ils voulaient être. Je leur ai ordonné de se mettre derrière leur ordi pour aller constater d’eux-mêmes, pour lire, pour voir, sans filtre, sans moi. Je ne sais pas ce que Dolto aurait dit de cette décision, mais j’étais en colère et ce fut ma réaction.
Depuis, ils sont venus plusieurs fois me voir pour me poser des questions, pour m’informer de “rebondissements” comme la reddition du jeune homme. Je sens monter chez eux l’incompréhension et elle me rassure. Tant pis si je les ai brusqués. Tant pis si j’ai manqué de pédagogie. La vie est brusque et sans pédagogie. On apprend sur le tas de nos expériences.

C’est un peu ça que je voulais dire à Charlie Hebdo aujourd’hui. J’ai ouvert les yeux sur une grosse lacune de parent. Je n’ai pas prolongé leurs indignations, celles qui me parlaient. Je veux le meilleur pour mes enfants, c’est vrai. Mais il est grand temps que je les confronte au pire pour qu’ils apprennent les vrais combats, les injustices, les priorités. Je ne souhaite pas les politiser (je n’en aurais pas les compétences en plus), les influencer, mais je voudrais qu’ils entrent enfin dans l’agora de ce monde, qu’ils ouvrent leurs yeux, leurs oreilles, car c’est primordial. Je veux qu’ils aient des armes à leur tour, les meilleures qui soient : une tête qui pense, une bouche qui s’exprime et une main qui s’offre aux autres.

SiloëJolieFée est petite, mais je l’ai laissée écouter mes propos. ElouanPrinceCharmant a tout pigé et n’a rien dit. Je lui laisse le temps de revenir vers moi. Je confiance, il le fera. Quant à moi, je sais bien que ce texte ne fera avancer aucun combat, qu’il ne sèchera aucune larme, ne guérira aucune injustice, qu’il n’a aucune légitimité (s’il fallait en chercher une) et que la boule dans le ventre des gens continuera de tourner et de faire remonter tout le dégoût du monde. Mais justement, on peut faire quelque chose. Le monde n’est pas à mettre dans un unique panier. L’humanité a évolué dans le bon sens depuis la guerre du feu à 2015, malgré les atrocités. Nous ne vivons PAS dans un monde de merde, simplement certaines merdes vivent dans notre monde.

D’ailleurs, je vous dis merci d’exprimer la meilleure partie de votre humanité, la compassion. Je suis loin, je me sens seule, inutile. Je voudrais aller aux rassemblements, lever un crayon haut dans le ciel, sentir ces âmes vivantes protester… Je suis loin mais je suis portée par tous les dessins que je savoure, qui m’épatent tellement par leur justesse, je lis vos textes, vos articles, je les trouve beaux et inspirés. Je m’émeus de la solidarité internationale. Certains sont Charlie, d’autres ne le sont pas. Mais tous condamnent fermement et c’est tellement important.

Je me fiche de dire des choses mièvres car elles ne le sont pas pour moi. Je n’ai pas de conseils à donner, j’écris tout haut ce que je rumine tout bas. Dans ma tête de maman, je me donne de vraies résolutions pour 2015 et pour ma vie à venir : éduque, Cécile, écris, réagis, discute, dessine… Ne cède pas à la facilité. Écoute. Pardonne. Combats. Ne lâche rien.

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Pas de tutoriel aujourd’hui, je n’en ai pas le cœur. Mais voici l’histoire en photo d’un petit livre offert à MaëllePrincesse… L’amour, ce n’est que des pliages, c’est compliqué, on a rarement le mode d’emploi, ça demande une patience infinie, mais qu’est-ce que c’est joli quand c’est bâti.




 

 

Je suis Cécile, slasheuse créative. J’alimente gracieusement ce blog depuis 2006. Vous pouvez aussi me suivre sur Instagram, Youtube ou Pinterest.
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Voir les commentaires

  • J'ai trouvé dur aussi d'expliquer à un enfant de 5 ans ces morts, les religions, les extrémistes, les fous, la liberté, de la presse et de tous, les caricatures, le talent de ces hommes disparus... en une seule fois. C'est si violent. Mais c'est l'humanité qui doit gagner!

  • J'ai expliqué aussi. Mes enfants sont petits, 7, 6 et 4 ans. Mais quand même. C'est tellement important.
    J'aimerais, comme toi, qu'ils s'indignent. Mais ils sont encore si petits. Alors, bon, je les laisse, comme tu l'as fait avec Erwan et Siloë.
    Mais j'espère moi aussi ne pas tomber dans cette lacune, plus tard. Et du coup, ça me donne envie de les abonner à un journal, qui leur permettra d'aiguiser leurs pensées, leurs réactions.

    Bisous, Cécile. Tu est avec nous, nous sommes tous Charlie. Peu importe la distance, c'est le coeur qui compte

  • Merci pour ce beau texte qui décrit parfaitement cette détresse qui fut mienne aussi ce matin, lorsqu'il a fallu réveiller nos enfants et leur dire toute l'horreur dont notre monde était capable. Ils sont plus jeunes que les tiens (8-6-2) mais je ne pouvais laisser partir les grands sans les préparer à une minute de silence qui aurait lieu à l'école et dont je voulais qu'ils comprennent la portée. Et là, même constat, la presse, la liberté d'expression.... Tous ces thèmes leur étaient si étrangers.
    Nous aussi, nous sommes en Asie et avons ressenti ce décalage: la nuit blanche à suivre le déroulement, hébétés devant tant de haine, émus aux larmes de voir les gens brandir leurs stylos, le réveil alors qu'en France les rassemblements dont on aurait eu besoin sont dispersés depuis peu....
    Le consulat nous a ouvert ses portes pour partager une minute de silence et nous retrouver en union de pensée avec les victimes et leurs familles... On se sent moins seuls mais toujours aussi impuissants. Restent l'espoir et la volonté de ne pas laisser les choses s'installer... Mais qu'il est douloureux de devoir ainsi ouvrir les yeux de nos enfants si brutalement, l'impression de les tirer de leur cocon d'enfance est violente mais nécessaire... Préservons leur enfance, mais préparons-les au monde qui les attend. Essayons de trouver un équilibre...
    Merci Cécile pour ton partage....
    Nous sommes tous Charlie.

  • Merci Cécile de ces mots. Tu as ce don alors que je ne l'ai pas. Je me retrouve souvent dans ce que tu écris et, en cette occasion triste et incompréhensible, particulièrement.
    Oui, certes, on a l'impression d'être plus efficace en présence. Mais les pensées sont fortes et leur puissance évocatrice peut rejoindre celles de France. Du monde entier, ce souffle monte et c'est réconfortant de savoir cette humanité réunie.
    Merci encore de ces lignes et non, ils ne passeront pas......

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